EXPOSITION "Avant l'oubli " du " juillet 2020 au 31 août 2020 au Bistrot de la Halle
Publié le 27 Juin 2020
Après St Bonnet le Chastel l'été dernier et Cunlhat cet hiver, l'exposition continue sa tournée dans le Puy de Dôme, en attendant de pouvoir prendre la route vers le Nord.
Le vernissage aura lieu le 3 juillet et sera suivi d'un apéro concert
A 19h accueil et visite guidée dans les salles du Bistrot
A 20h Céline et Mathias jouerons de la musique Irlandaise.
L'exposition se transforme pour s'adapter au lieu, le parcours a été repensé en fonction des 3 salles du Bistrot.
POUR EN SAVOIR UN PEU PLUS AVANT DE DÉCOUVRIR L'EXPO
Genèse de l'exposition :
vider la maison de mon enfance, trier, jeter, partager. Certains jours, je suis seule devant tous les objets, seule avec les souvenirs qui sortent des placards, les réminiscences, les traces.
Toutes les archives de mes parents sont là, pas de meuble ni d'objet de valeur.
L’utile va trouver une nouvelle vie mais que faire de tout ce qui fait sens et
qui va disparaître.
Me vient alors l'idée de photographier avant de vider les placards.
Photographier pour préserver ces traces, puis donner à voir ces vies simples, de labeur, de partage et de souffrance, témoigner d'expériences singulières au cours de ce 20ème siècle.
Mes parents ont vécu de 1960 à 2016 dans un village de l'Aisne, rural et ouvrier. Il y eut, comme dans beaucoup de lieux populaires, une vie joyeuse, solidaire, malgré la rudesse, une vie où l'étranger était accueilli et pouvait reconstruire le pays après guerre et construire sa vie.
Une vie où l'étranger apportait de la douceur et de l'espoir pour des filles
qui accédaient ainsi à une autre condition en quittant un milieu familial enfermant. Une vie faite d'engagement politique et syndical pour le bien-être collectif, pour l'émancipation des hommes et des femmes.
Cette exposition commence par des photos d’archive, des objets ayant appartenu à mes parents, des photos et des textes personnels présentés dans une installation. Elle se poursuit par un travail de peinture, une galerie de portraits, pour retrouver l’expression d’un regard, la force d’une attitude.
Un tableau abstrait est associé à chaque portrait.
Les galeries de portraits n'existent pas hors des familles nobles ou bourgeoises, hors des ancêtres remarquables et remarqués.
Cette exposition est en quelque sorte un hommage
à ces ancêtres issus de conditions pauvre ou simple,
mais qui par leur mobilité ou leurs engagements
ont su créer un espace des possibles pour leurs enfants et petits enfants.
QUELQUES PORTRAITS
EXTRAITS DE TEXTES
Certificat d'étude
Jeannette ( 1928-2016)
Obtenu à 13 ans, beau diplôme gardé roulé. L'école est finie, par d'argent,
pas d'études pour les filles, même si elles en ont l'envie ou les capacités.
A 14 ans Jeannette va travailler comme petite bonne au café restaurant du village. Début d'une longue carrière de femme de ménage, jamais déclarée ou presque, résistant aux assauts d'hommes insistants.
Le mariage protégeait, mais pas toujours des propositions de certains patrons.
Rester droite, debout malgré la honte de la pauvreté, du sucre à crédit quand elle était enfant, malgré les peurs de la guerre, de l'exode, des cadavres sur les routes,
malgré le deuil de sa sœur aînée.
La dignité, l'honneur du pauvre c'est le courage et la propreté.
L’EXIL
Jean - mon grand-père (1901-1993) Né à Vraïla Grèce, Nord de Delphes
Un dernier baiser à celle qui lui a donné la vie et ses yeux bleus,
une dernière étreinte, la dernière, sentir sa douceur, sa tristesse, son déchirement. Un dernier regard vers son père, qui reste droit, et ne laisse rien passer de sa honte à ne pouvoir offrir un avenir à ses enfants dans ce pays qu’il aime tant. Yanis marche devant, les petites photos contre sa poitrine, deux images de son enfance ici, le lien à ses racines.
La gorge serrée, les larmes sur leurs joues.
Ne pas flancher, cette terre ne peut les nourrir tous.
Les rires de ses frères et sœurs, leurs cris, le sentier jusqu’à la chapelle, la montagne aride, les chèvres, les brebis, le goût du « yaourti mé méli. »
Les lits serrés, les pieds dans le torrent, l’âne qui le portait, lui et ses yaourts à livrer. L’odeur du feu, les murs blancs, la douceur d’être ensemble, les chants, les danses.
« Kalo Taxidi » Yanis, bon voyage Yanis Kontomichos.
Il a 15 ans, il part à Athènes pour gagner son billet vers le rêve américain avec 2 cousins.
Le Pirée, l’embarquement avec quelques affaires, le sourire, l’aventure.
L’émigration se faisait à visage découvert sur de gros bateaux de commerce ou de transport de passagers. La clandestinité n’était pas nécessaire.
Le pauvre pouvait tenter sa chance dans le pays riche.
Ce n’était pas suspect, ni incongru.
Marseille, l’escale : tout le monde descend, mais ne remonte pas :
les mineurs sont refoulés même s’ils ont payé leur billet,
même si leurs affaires sont à bord.
Un seul ira jusqu’en Amérique, Yanis et Philippe resteront à Marseille.
Ils n’ont rien, ne parlent pas la langue.
Ils n’ont rien que leur envie de construire une nouvelle vie.
Dans la France de 1918 c’est possible, il y a tant à reconstruire. Ils font la plonge le temps de gagner un peu d’argent, de comprendre et de se faire comprendre, puis se séparent.
Yanis monte seul dans l’Aisne, un lien, une connaissance ?
Il devient maçon, et travaille dur, il se déplace à vélo.
Il rencontre Hélène, la plus pauvre mais la plus belle du village...
Ils s’installent ensemble et ont deux filles avant leur mariage.
Il s’intègre dès qu’il reçoit ses papiers, il se marie, change son prénom :
il s’appelle Jean, il se convertit au catholicisme, devient père de famille nombreuse, puis monte son entreprise de maçonnerie.
Jean gardera un lien avec ses cousins, sa famille restée au pays,
mais ne reverra jamais ses parents. Il ne retournera qu’une fois en Grèce, accompagné par un de ses fils.
UNE INSTALLATION
Installation :
Boîte de coton à repriser, photos prises au moment
de vider la maison.
Textes tissant des histoires singulières
DÉTAILS DE L'INSTALLATION
Avant l’oubli
La ligne Paris gare du Nord – Laon.
Le givre sur les arbres
Combien d’années ?
36 ans plus tôt
Mon sac d’étudiante
Les compartiments
Les bidasses quittant la caserne le vendredi soir Excités, hurlant, bière à la main
Les mêmes le dimanche soir
remontant vers la capitale
éteints de trop de fêtes
36 ans plus tard
La même ligne
Sans les compartiments
Presque vide,
à contre courant Retour à Athies sous Laon
vider la maison de mon enfance de mon adolescence
de nos parents
être à présent
la génération devant
Le flou des larmes
Le flou de la vitre
Le flou de la mémoire
L’escalier du sous sol :
La rampe posée tardivement, elle descendait à reculons à la fin de sa vie
Le dos voûté, elle qui se tenait si droite.
Le dos voûté par les années de travail, le corps usé.
Le sous-sol complet,
Le trou creusé par leurs mains, leurs pioches
Les dizaines de brouettes, pour économiser un peu
Les placards pour ranger les conserves, les œufs
Les congélateurs ensuite
La chaudière à bois et charbon, la réserve de charbon
Le garage pour les vélos, la voiture quand il y en eut une
la cuisine d’été, les grandes tablées, être au frais l’été
L’escalier au dehors, la peur de descendre, à la nuit tombée
la porte vitrée ensuite pour protéger du froid, de la pluie, de la peur.
Elle avait toujours eu peur,
un reliquat d’enfance
LA SNCF - Lampes, besace, burette.
Pierre (1925-1988)
Mon père était cheminot
Entré à 14 ans comme apprenti, il a commencé chauffeur mécanicien.
Il remplissait la machine de charbon, rapportait à la maison son bleu sali, ses mains aux ongles noirs. Il partait travailler à vélo par tous les temps. Il a suivi les cours, a réussi les examens, est devenu mécanicien
Les horaires décalés, nuits dans les dépôts sur des lits de camps,
entre ronflement des copains et bruit des trains
Au passage à l’électricité, il a arrêté les voyageurs,
seul dans la locomotive, trop de responsabilités, trop de solitude aussi.
Il est resté sur les diesels, les marchandises.
Il a refusé toute idée de promotion, il préférait le compagnonnage de la base. La CGT bien sûr, la grande famille de la SNCF, solidaire jusqu’au bout,
dans les luttes et la joie.
La retraite à 50 ans, mort à 63 ans, comme beaucoup de ses camarades.
Une vie double : le travail, le jardin pour compléter la paye.
Le corps usé du sommeil oublié.
Les petites blouses
d’écolière sage, modèle.
Les tables alignées, le plaisir d’apprendre. Pas d’uniformes classiques,
Juste de quoi protéger les vêtements.
Pas de machine à laver à la maison.
Une grosse lessiveuse sur un trépied de gaz. La grosse pince en bois
pour mélanger le linge dans l’eau bouillie,
La planche usée par le frottement
Les 5 bassines d’eau chaude pour le rinçage .
La petite essoreuse électrique
Les paniers lourds à porter jusqu’au jardin Étendre sur les fils interminables
Le linge impeccable flottant dans le vent.
Mes petites blouses d’écolière
L’encre, la plume, l’odeur de la cire en fin de trimestre Chacun grattait, nettoyait, cirait avant les vacances
A la récré : on jouait aux billes, à la marelle, à l’élastique, Les garçons tapaient dans un ballon.
Les cris, les bagarres.
Les toilettes dans la cour, gris ciment, gelées l’hiver.
Pas de cantine, pas de garderie.
A pied, matin, midi et soir, en riant avec les copines. Les parents nous accompagnaient en maternelle Puis c’était l’autonomie.
Nous avions des jambes, c’était normal.
Les mamans ne conduisaient pas de voiture, c’était cher, trop cher.
LE RESTE EST À DÉCOUVRIR SUR PLACE...